Dr. Pierre Hirel

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Plasticité de perovskites du manteau terrestre
Post-doc UMET, Univ. Lille, depuis Nov. 2012

Introduction

La majorité des phénomènes géologiques observables à la surface de la Terre, tels que les éruptions volcaniques, les séismes ou encore la tectonique des plaques, sont dus aux mouvements de convection qui ont lieu en profondeur, dans le manteau terrestre. Ces mouvements de convection sont très lents, et impliquent la déformation de roches minérales telles que l'olivine ou les grenats dans le manteau supérieur (de 100 à 670 km de profondeur), et de minéraux tels que la ferropériclase ou les perovskites dans le manteau inférieur (670-2000 km), dans des conditions extrêmes de pression (jusqu'à 140 GPa) et de températures (jusqu'à 4000°C). Le projet RheoMan utilise des simulations par ordinateur pour comprendre les mécanismes fondamentaux régissant la rhéologie du manteau terrestre.

Dans le cadre de ce projet, mon travail consiste à étudier la déformation plastique de phases silicatées à structure perovskite du manteau inférieur terrestre, notamment MgSiO3 et CaSiO3.

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Fig. 1 - La structure interne de la Terre, et quelques exemples de minéraux se trouvant dans le manteau.

Glissement des dislocations dans la perovskite MgSiO3

La bridgmanite (Mg,Fe,Al)(Si,Al)O3, de structure perovskite, est le principal constituant du manteau inférieur. J'étudie le composé riche en magnésium de cette phase, la perovskite MgSiO3, dont je m'attache à caractériser les propriétés des dislocations en glissement et en montée.

Les systèmes de glissement les plus faciles dans les perovskites cubiques et tétragonales (comme SrTiO3 et KNbO3) sont du type <110>{110}. Il est donc logique de s'attendre à ce que les systèmes de glissement équivalents soient activés dans MgSiO3. Dans une perovskite cubique les directions [110] et [110] sont strictement identiques. À cause de sa maille orthorhombique distordue, dans MgSiO3 ces directions se différencient et sont notées différemment : [100]=[110]pc et [010]=[110]pc. Nous avons utilisé des calculs à l'échelle atomique pour modéliser les dislocations [100] et [010] à caractères coin et vis, à des pressions allant de 30 à 130 GPa, typiques du manteau inférieur terrestre.

Contrairement à SrTiO3 et KNbO3, où ces dislocations se dissocient avec une grande distance de dissociation, dans MgSiO3 ces dislocations ont une structure de cœur très compacte, sans dissociation, avec une largeur de l'ordre de 13 à 15 Å. Un autre résultat surprenant a été de trouver de larges différences entre les deux systèmes de glissement étudiés. MgSiO3 a une symétrie moindre, aussi ces directions deviennent-elles légèrement différentes, mais pas de plus de 5%. Or nous avons obtenu des différences dans les structures de cœurs bien supérieures à cela. Par ailleurs les deux dislocations vis ont des contraintes de Peierls similaires à "basse" pression (P=30 GPa), mais lorsque la pression augmente la dislocation [100] devient plus mobile que la [010]. Ces différences ont été attribuées aux importantes distortions de la maille : les octaèdres SiO6 sont davantage inclinés autour de l'axe [010] qu'autour de l'axe [100] [1].

Dislocation vis [100] dans MgSiO3

Fig. 2 - Structure atomique d'une dislocation vis [100] dans MgSiO3.

Afin de prendre en compte les effets de la température sur la mobilité de ces dislocations, nous avons employé des calculs à l'échelle atomique pour déterminer l'énergie de formation de décrochements le long de la ligne de dislocation. Puis, en employant un modèle basé sur l'élasticité, nous avons déterminé l'énergie de formation d'une paire de décrochements en fonction de la contrainte appliquée. Un tel modèle permet de prédire la contrainte d'écoulement du matériau en fonction de la température, et comme le montre la Fig. 3, le modèle montre un très bon accord avec des expériences de déformation de cette perovskite [2].

Contrainte d'écoulement

Fig. 3 - Contrainte d'écoulement dans MgSiO3 prédite par le modèle théorique (courbes vertes) et mesurées expérimentalement (points noir).

Interactions dislocations-lacunes et mécanismes de montée

Les conditions qui règnent dans le manteau inférieur -hautes températures, faibles vitesses de déformation- peuvent être favorables à un autre mécanisme de mouvement des dislocations : la montée. Ce processus, qui se produit par l'absorption ou l'émission de lacunes par les dislocations, ne peut être activé que si les lacunes sont suffisamment mobiles, donc à haute température. Pour évaluer la facilité de la montée des dislocations, nous commençons donc par évaluer l'énergie d'interaction entre les dislocations et les lacunes.

La Fig. 4 montre les énergies d'interaction de lacunes avec la dislocation coin [100]. La lacune de magnésium, électriquement chargée -2e, est attirée par la dislocation. Au contraire, la lacune d'oxygène qui a une charge opposée, est repoussée par la dislocation. La nature radiale de l'interaction reflète son caractère coulombien : en effet, la dislocation étant aussi un défaut dans un matériau ionique, elle est porteuse d'une charge électrique. Nous avons estimé la charge de cette dislocation à environ 9.17 10-11 C.m-1 [3].

Interactions dislocation-lacune dans MgSiO3

Fig. 4 - Interaction d'une dislocation coin [100] avec une lacune de magnesium (à gauche), et avec une lacune d'oxygène (à droite), dans MgSiO3. Les couleurs indiquent l'énergie d'interaction : en bleu les énergies négatives indiquant que la lacune est attirée par la dislocation ; en rouge les énergies positives indiquant qu'elle est repoussée.

Ces résultats montrent que dans un matériau ionique aussi complexe que MgSiO3, les interactions dislocations-lacunes ne sont pas gouvernées par l'élasticité. Les dislocations et les lacunes sont porteuses de charges électriques, et de ce fait elles interagissnt principalement via l'interaction de Coulomb, qui est bien plus forte que l'interaction élastique.

Dissociation de montée et perte du glissement

Dans la perovskite SrTiO3, il a été mis en évidence que les dislocations changent de structure de cœur à haute température, en se dissociant dans leur plan de montée (voir cette page). Nous avons cherché à savoir si un mécanisme équivalent pouvait opérer dans MgSiO3. La Fig. 5 montre l'effet de la température sur la dislocation coin décrite plus haut : comme dans SrTiO3, cette dislocation se dissocie dans son plan de montée dans MgSiO3 à haute température [4].

Dislocation coin [100] dans MgSiO3

Fig. 5 - Deux structures atomiques d'une dislocation coin [100] dans MgSiO3 : dissociée dans son plan de glissement (à gauche), et dans son plan de montée (à droite). La première est glissile, la seconde sessile. Le joint d'antiphase est surligné avec une ligne pointillée pour mettre en évidence son plan d'étalement.

Ce changement de structure de cœur a une conséquence dramatique : ces dislocations deviennent sessiles, c'est-à-dire incapables de se mouvoir dans leur plan de glissement.

Références

[1] P. Hirel et al., Acta Mater. 79 (2014) 117-125. doi: 10.1016/j.actamat.2014.07.001

[2] A. Kraych et al., Phys. Rev. B 93 (2016) 014103. doi: 10.1103/PhysRevB.93.014103

[3] P. Hirel et al., Acta Mater. 106 (2016) 313-321. doi: 10.1016/j.actamat.2016.01.019

[4] P. Hirel et al., Scripta Mater. 120 (2016) 67-70. doi: 10.1016/j.scriptamat.2016.04.001

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